Et sous la lumière de la pleine lune, magnifique et grande au-dessus de lui, comme pour prendre soin du garçon, Winter marchait pied nu sur quelques nuages, sur un chemin qui n'était pas tracé autrement qu'avec les étoiles autour de lui. Lorsqu'il s'arrêta, ce fut pour s'asseoir devant le piano qui reflétait le ciel de la nuit, et laisser ses doigts danser sur la mélodie qu'ils créaient.
Time stood still for a while
Your hand was holding mine
The stars that shined in your eyes
Don't let them go by
Fly on you golden boy
And take on your fears
I'll be with you in your dreams
The world is darker than it seems
Et la douceur de sa voix au fil de la chanson aidait juste pour une petite seconde à lutter contre les peurs et les inquiétudes que ce monde, plus sombre que ce qu'il paraissait, lui donnait sans cesse. Comme celles qu'il avait en prenant la décision de quitter le manoir Williams, qui l'avait recueilli quand il est entré dans le dôme sans souvenir de son passé ou de sa famille mis à part de son prénom, qui l'avait aidé avec ses pouvoirs compliqués et protégé des dangers qu'ils représentaient quand il faisait des cauchemars. Ce manoir qui l'avait protégé d'un monde dans lequel Winter n'arrivait pas à grandir, d'un monde qu'il ne comprenait pas.
Mais il avait bien fallu le quitter. Tous les adultes partent un jour. Tout le monde se moquait de lui, quand on ne lui rappelait pas qu'il était un incapable, on lui répétait qu'il n'était qu'un gamin.
Je suis un adulte, se défendait-il. Il était obligé de faire comme tous les adultes, sinon, qu'était-il ? Tout ce que le monde lui disait de mal à propos de lui ? Il n'en avait pas envie. Il était partie en supportant le poids des peurs que son optimisme ignorait, il avait eu un métier d’intérimaire dans une agence avec plein de bureaux, dans laquelle il savait parfaitement faire les photocopies qu'on lui demandait, et même si jamais personne n'aimait les publicités qu'il écrivait, au moins il avait un métier comme les autres, pour se payer un tout petit studio avec ses quelques revenus, pour vivre seul comme les autres.
Alors... il n'avait pas à avoir peur n'est-ce pas ? Et pourtant, passer sa vie à être aussi seul était si effrayant.
And I'll be waiting for the light
That guides us through the worst of nights
And I'll be waiting for the sign
You're coming back
And you have found your path
Attendre lui permettait de tenir dans les peines de cette solitude. Pour lui, c'était si évident, ses parents reviendraient le voir un jour, puisque tous les parents revenaient vers leurs enfants. C'était cette image, des parents qu'il n'a jamais vu, qui était la lumière au fond du tunnel qui lui permettait d'avoir une candeur et un optimisme aussi forts. Il attendait aussi simplement qu'on attendait le bus, assis sur son lit en regardant par la fenêtre, chaque soir avant de dîner et de dormir, ayant hâte qu'un jour il puisse s'asseoir auprès de quelqu'un.
Achille ! Dans les seuls souvenirs qu'il avait à son arrivée dans le dôme, il y avait un prénom. Winter. Il n'était pas certain que ce soit le sien, mais il l'entendait en rêve, parfois, résonnant dans une chanson qu'il imaginait son père chanter. Mais à force de rêver d'eux, un autre, plus certain cette fois-ci, lui était revenu.
Je suis sûr que je m'appelle Achille aussi. Il avait une identité, alors il avait une famille, n'est-ce pas ? C'était la preuve qui venait renforcer le grand optimisme de Winter. Ses parents reviendraient.
Idiot. Crétin. Débile. Gamin. Non, personne ne le croyaient. A l'age qu'il avait, on ne croyait plus au retour de ses parents. Des mots qui l'avaient fait pleurer. Des mots qui avaient créés
l'Acropole des Gardiens, le songe des angoisses dans lequel on lui refusait de trouver le bonheur qu'il espérait tant, et qui lui faisait faire des cauchemars, augmentant le danger qu'il pouvait représenter à cause de sa mutation.
Mais il devait arrêter de pleurer. S'il pleurait à son âge, ses parents ne seraient jamais fiers de lui, non ?
I know that you've seen the worst
Your heart's been torn before
Those creatures won't let you go
So hang on to what you know
So sail on you golden boy
And fight against those fears
I'll be with you in your dreams
Of a world without a queen
Il n'était pas totalement seul s'il rêvait. Voilà sa plus grande compagnie, voilà la corde la plus solide à laquelle il s'attachait en attendant mieux, et la seule qu'il avait pour le soutenir. Le rêve d'avoir des parents lui donnait une présence rassurante chaque matin, d'un couple toujours différent. Et parfois quelques animaux imaginaires venaient compléter les plus grands vides de sa vie, dans lesquels même les rêves de famille ne se manifestaient pas.
L'enfant en lui adorerait voir une licorne. Mais il ne peut pas en rêver d'une à cause de ça. C'est son vœu le plus cher avec celui de ses parents. Celui-ci ne se réalise pas, alors la licorne non plus.
Winter était seul, même dans les artifices de ses rêves.
And I'll be waiting for the light
That guides us through the worst of nights
And I'll be waiting for the sign
You're coming back
And you have found your path
And I'll be waiting for the light
That guides us through the worst of nights
And I'll be waiting for the sign
You're coming back
And you have found…
And I'll be waiting for the light
That guides us through the worst of nights
And I'll be waiting for the sign
You're coming back
And you have found your path
Winter se réveilla face à ce piano. D'abord la lune et le ciel disparurent pour dévoiler son plafond, les nuages s'évaporèrent pour rendre le décor de sa chambre, et enfin, le piano fut le dernier élément du rêve à partir.
Il essuya une larme. Il ne fallait pas pleurer pour être un adulte comme tout le monde...