You are so worthy of everything I have to give
But I burn with feeble offerings
Nothing to sustain Fan against the flame
Oh what I've made
Ce n’est jamais facile de naître et encore moins d’exister, c’est tout un combat interne pour parvenir à quelque chose de cohérent en fur et à mesure des multiplications et de la spécialisation de chaque cellule. Chacune à sa place et une place pour chacune. Une spécialisation, puis des dizaines, des centaines, des milliers jusqu’à ce que le premier battement de cœur ne résonne et c’est la moitié du chemin de fait. Il reste encore tout à faire. Tout à construire. Tout à spécifier et quand les gènes s’en mêlent, on ne sait jamais sur quoi on va tomber à l’arriver. Une petite tête blonde pourquoi pas, un peu boudeuse, un peu perchée, un peu joyeuse, un peu joueuse, un peu pleureuse mais tellement honnête qu’on lui pardonne volontiers ses états d’âme d’enfant légèrement turbulente.
Elle s’invente un monde qui n’appartient qu’à elle et c’est tant mieux : rêvant de lave sur le sol quand elle saute de canapé en canapé, qu’elle vole lorsqu’elle chausse sa cape et monte sur la rambarde du premier étage, qu’elle peint des chefs d’œuvres armés de ses doigts couverts de peinture, qu’elle est cette princesse dans le château comme le racontent les livres, que les peluches sont vivantes et tout un tas d’autres histoires dont elle ne ressort jamais complètement indemne. Complètement similaire.
Nyx est faite de différences et c’est ce qui constitue sa force dès son plus jeune âge. Elle ne tarde pas à se faire des amis, il y a tout plein de gens dans ce grand manoir et chacun est prêt à l’aider dans ses quêtes d’aventures ou ses demandes les plus farfelues. Tous semblent la regarder avec attention même si elle ignore pourquoi, tous semblent attendre quelque chose chez elle alors qu’elle leur fournie inconsciemment tout ce dont elle est capable. On attend. On patiente. On l’écoute. On l’éconduit. On la délaisse. Mais on l’adore de nouveau l’instant d’après et au milieu de tous ces gens et de toutes ces jambes, elle reconnaît particulièrement le visage de son père.
Celui vers qui elle peut courir à tout instant et qui ne manquera jamais de l’attraper. Celui qu’elle veut surprendre mais qui sait toujours quand elle arrive. Celui qui la retrouve à chaque fois qu’elle se cache. Celui qui lui lit des histoires avant de s’endormir et ne manque jamais une seule fois. Une seule nuit. Une seule seconde de son existence.
Celui aussi qui lui transmet son savoir et ses paroles incessantes, rencontrant l’oreille la plus attentive qu’il ait pu croiser et profitant de son innocence enfantine pour aborder des sujets aussi divers que variés. S’adaptant. Transformant. Adaptant. Toujours s’adapter, c’était le propre de leur espèce. De ce qu’ils étaient. De l’humanité toute entière mais cette dernière était encore un peu bête pour le savoir. Le comprendre. L’accepter. C’était fort dommage aux yeux de la petite fille à l’imagination débordante ; pourquoi les grandes personnes n’arrivaient pas toujours à voir ce qu’elle, elle voyait ? A comprendre ce qu’elle comprenait ? A saisir le sens alors que c’était sous leurs yeux ?
Elle l’ignorait. Questionnait. Parfois elle se prenait des refus mais ça ne l’empêchait pas de recommencer envers et contre tout. Envers et contre tous. Une bulle. Une petite bulle qui la différenciait du reste du monde. Du reste des gens. Et cette bulle, si chère à son cœur, était sa dernière protection face à la dure loi de la réalité.
«
Je suis désolé. » Lui avait dit Lachlan, une fois.
Mais… Désolé de quoi, exactement ?
So take all of me
Please take all of me
«
Dit, Lazare, pourquoi tu as des dents pointues et moi pas ? »
Nyx avait demandé ça en portant ses doigts vers sa bouche, ouvrant grand cette dernière comme si cela aurait permis à d’éventuels crocs de pousser à la place de ses dents en train de se transformer. D’une dentition d’enfant elle prenait celle d’une adulte et pourtant, elle ne parvenait pas à faire la même chose que le vampire lui avait montré une fois. Une seule fois. Une fois de trop pour sa mémoire et pour sa ténacité qui ne voulait rien lâcher sans en comprendre le sens. L’explication. La dévotion.
Lazare lui avait dit qu’il était un vampire et elle avait voulu en devenir un aussi alors, quand il lui avait dit que c’était impossible elle n’avait pas bien compris. Qu’est-ce que c’était que l’impossible ? Pourquoi ne pouvait-elle pas devenir quelque chose simplement en le voulant ? Le désirant ? Et si elle fermait les yeux très forts, peut-être que… Mais ça n’avait pas fonctionné.
En même temps, ça n’avait pas fonctionné pour ça maman non plus.
Elle poussa un soupir, croisant ses bras sur la tête du grand monsieur et posant son menton sur le dos de ses mains, balançant ses jambes dans un agacement certain. Ca avait fait rire Lazare, qui la tenait sur ses épaules, et ils avaient continués à avancer à l’orée du bois pour rejoindre la plage. Elle aimait beaucoup venir ici avec lui. Elle aimait beaucoup aller le voir parce qu’il lui faisait toujours découvrir des endroits qu’elle n’avait encore jamais visités ; et pourtant ce n’était pas facile sous un dôme transparent. Parfois il n’avait pas le temps et lui disait de ne pas venir. Parfois ils se donnaient rendez-vous et elle était toujours en avance. Il fallait au moins ça, Nyx avait encore un peu de mal à gérer la distance entre le manoir et le centre ville. Heureusement que le chauffeur de bus lui disait toujours exactement où descendre pour ne pas qu’elle se perde ! Il était gentil ce monsieur. Comme Lazare.
«
Regarde. » Déclara-t-il après un long silence.
Elle releva les yeux et les sourcils pour découvrir l’un des immenses lacs qui s’étalait à perte de vue et, au milieu, une île majestueuse entourée de falaise et où l’on distinguait une espèce de citadelle… Quelque chose en tout cas que la petite fille trouva très beau. Ces colonnes avaient quelque chose de très agréable à regarder et elle se dandina pour essayer de savoir ce que c’était. Elle eu beau plisser le regard elle ne parvint pas à distinguer des gens qui pourraient s’y trouver, pourtant son ami avait commenté qu’un peuple habitait sur l’île ! Des sirènes même. Nyx en avait déjà vu, en ville, elles étaient vraiment très jolies.
Quand il lui dit qu’elles possédaient des queues de poissons, comme dans ses livres, elle ne tint plus en place : elle DEVAIT voir ça ! Il le fallait ! C’était bien trop beau et surréaliste pour qu’elle requiert que ses yeux soient témoins. Témoins de ce monde sous le dôme. Témoin de ces êtres qu’on avait mis sur sa route, avec leurs singularités et leurs spécificités. Témoins des étrangetés des uns et des pouvoirs des autres. Témoins de cette diversité qui s’égrainait tout autour de son petit univers…
Tandis qu’elle, elle restait humaine. Délibérément et simplement… Humaine.
It's like I'm running away from me
It's like I've taken the puzzle in me
And left it scrambled for all to see
Des fois, Nyx se disait qu’elle aurait tout gagné à écouter les conseils et les messages d’avertissement. Mais elle ne pouvait s’empêcher de passer outre, suivant son instinct comme sa curiosité jusqu’aux derniers retranchements de cette dernière. Jusqu’à franchir la ligne, la dernière limite, et se rendre compte qu’une fois qu’on avait sauté, on ne pouvait remonter sur l’échelle. C’était dommage qu’elle ne retienne jamais vraiment la leçon. C’était dommage qu’elle ne comprenne pas franchement cela, même avec tout ce qu’elle avait dans la tête de savoirs et de courants d’air. Fille du vent et de l’extérieur, acolyte de l’imprévu et négociatrice irrémédiable quand il s’agissait de s’extirper de situations délicates…
Elle n’avait juste jamais vraiment réalisé qu’elle devrait affronter le Mal à l’état pur aussi tôt. Aussi violemment. Aussi manifestement que présentement, comme ça, sans prévenir. Lorsque la souffrance voulait vous trouver, elle entrait malheureusement sans frapper et il était impossible de l’empêcher de mettre un pied à l’intérieur. Elle n’avait rien d’un vampire. Elle n’avait rien d’une amie. Et elle ne parvint pourtant pas à la chasser de son chevet et du la supporter pendant une durée qui lui sembla une éternité. Croyance. Esquisse. Espoir. Défaite. Tout et rien à la fois. Des yeux qui se ferment. Du sang qui coule. Le goût du fer dans la bouche. Le corps endoloris. L’être meurtri. L’âme châtiée, entachée alors même qu’elle aurait aimé se l’arracher pour la rejeter très loin d’elle. Loin de tout. Loin de tous.
Nyx se souvenait de la main bienveillante dans ses cheveux, des mots murmurés qui avaient le don de la rassurer et de l’apaiser. Il fallait qu’elle se souvienne qu’elle était forte, plus forte que cela, plus forte que ces sensations et que dans tous les cas, elle se devait de gagner. Comment vaincre quand sa plus grande arme est sa vivacité d’esprit ? Comment vaincre quand on ne comprend pas le second degré et que tout vous fait soudain si mal ? Que plus rien ne semble avoir de sens et que tout s’emmêle sans dessus-dessous avec l’impossibilité de se redresser ? Plus de haut ni de bas. Plus de droite ni de gauche. Juste l’atroce sensation au fond de son être et, pour la première fois, la culpabilité. Sourde. Sanglante. Evidente. De n’être que ce qu’elle était. De n’être qu’une parmi tant d’autres, de n’être que ce qu’elle était.
Son père l’avait bercé comme lorsqu’elle était enfant. Il lui avait chuchoté des paroles rassurantes et promis que tout irait mieux. Que tout allait aller mieux. Et, effectivement… Tout évolua. Changea. S’améliora. Elle reprit l’envie de sortir de sa chambre et de se plonger dans la foule du manoir sans craindre de mauvaises surprises. Elle reprit l’envie de s’enfuir à l’extérieur pour y passer des heures. Elle reprit l’envie d’aller en ville, de revoir Lazare, de retrouver Orion, de croiser Leandre ou tous ces gens qui avaient été bénéfiques pour elle. Parce qu’il le fallait. Parce qu’elle ne pouvait pas rester cloitrée indéfiniment dans sa tristesse et sa douleur. Parce qu’on ne vivait pas de cela, mais de bien d’autres choses. De bien plus encore. Et ça, c’était le Dôme qui le lui avait appris.
Alors il était temps de mettre à profit tous ces enseignements et, pourquoi pas, les faire partager à qui voudrait bien l'entendre ?
It's like I'm fighting behind these walls
And hiding through metaphors
This is real, these are flaws
«
Qu’est-ce que tu en dis ? »
Hans paraissait un peu sceptique, assis face à sa petite sœur dans ce café de Berlin. Lui qui avait vécu à l’extérieur depuis si longtemps, lui qui avait connu leur mère mais qui ignorait tout de leur père, ne paraissait pas très certain de ce qu’elle avançait. De ce qu’elle proposait. Nyx était toujours la plus enjouée de deux tandis qu’il était le plus discret. Il était timide quand elle était extravertie. Il était doux quand elle était maladroite. Et plus que tout, il était parfaitement concerné par le projet dont elle venait de lui parler. C’était lui l’auteur, même, à l’origine. Lui qui avait esquissé le mot, tendu la perche et espéré que, peut-être, elle s’attarderait sur ce détail. Peut-être qu’il regrettait aujourd’hui ? Elle l’ignorait. Ne voulait pas le savoir. Hans ne devait rien regretter avec elle, hormis de ne pas tout tenter tant qu’il en était encore temps.
Elle pianota sur sa tasse de chocolat chaud, ses cheveux blonds tressautant de ses épaules tant elle paraissait excitée par toute cette histoire. Il la connaissait bien quand elle faisait ça, quand elle avait une idée en tête et que c’était impossible de la faire décrocher. Nyx fonctionnait au coup de cœur, à l’impatience et à l’euphorie. A l’optimisme et à la sympathie. Au « pourquoi pas » plutôt qu’au « on ferait mieux »… Et il ne put s’empêcher d’esquisser un sourire devant sa bouille mutine qui n’attendait qu’une chose : sa validation. Aurait-il put donner autre réponse ? Elle l’aurait convaincue du contraire. Traîné de force dans sa direction s’il le fallait. Il était son grand frère et il devait bien reconnaître qu’il avait du mal à ne pas être d’accord avec elle. Si perchée. Si différente. Si divergente. Et lui… Si simple en comparaison. Comment faisait-elle pour continuer à l’adorer et l’idolâtrer ? Si elle savait.
Il tendit la main pour la poser sur son poignet, le serrer doucement et chaleureusement. Elle baisse les yeux vers ses doigts puis les relève pour chercher ce regard clair si semblable au sien. Nyx sourit. Sincèrement. Spontanément. Comme toujours. Elle avait compris la réponse et s’apprêtait à ouvrir la bouche avant qu’il ne l’interrompe de la main :
«
Mais ! J’ai une condition. »
«
Tout ce que tu veux ! » Minauda-t-elle.
«
Emma vient avec nous. »
C’était l’occasion ou jamais. Elle était concernée directement en plus, il était prêt à faire tout un réquisitoire s'il le fallait... Pourtant à la voir, il su qu'il n'aurait pas besoin de développer. Et puis, ainsi, cette petite sœur rencontrerait enfin cette petite amie dont il lui avait tant parlé dans les mails.
Que ce soit ici ou en Egypte, il n’y aurait pas de différence.
En fait... Si.